GARNIER
Maëva
Chargée de recherche CNRS
Recherche

Adaptation et régulation des efforts de parole (motivations, mécanismes cognitifs)


Différents champs de recherches peuvent être regroupés autour de la thématique d’adaptation de la parole.
De nombreux travaux de recherche ont été effectués dans le but de comprendre comment un locuteur adapte sa production lorsque son retour auditif est modifié ou lorsque son articulation est perturbée.

  • Les études sur les phénomènes de convergence phonétique ont montré comment les locuteurs tendent à imiter inconsciemment la façon de parler de leur interlocuteur.
  • De nombreuses études, dans la lignée de la théorie H&H de Lindblom, ont également caractérisé comment les locuteurs modifient leur production de parole lorsqu’ils font face à un environnement de communication perturbé ou lorsqu’ils s’adressent à un interlocuteur aux capacités de compréhension réduites.
  • D’autres études socio-phonétiques ont caractérisé la manière dont nous adaptons notre façon de parler en fonction du rapport social ou affectif que nous entretenons avec l’interlocuteur.
  • Les mécanismes sous-tendant ces différentes adaptations sont complexes et font encore l’objet de recherches. En particulier, il se pose toujours la question de savoir dans quelle mesure ces adaptations sont gouvernées par des réflexes nerveux, par des mécanismes bas niveau de régulation des paramètres de production, ou par des mécanismes cognitifs haut niveau faisant appel aux représentations phonologiques et sociales.




      Imitation et convergence phonétique

    Problématique :

    Il a été montré qu’en d’interaction conversationnelle, les comportements de deux interlocuteurs tendent à converger. Ces phénomènes d'imitation involontaire se manifestent au travers de la posture, des mouvements de la tête et des expressions faciales et, en ce qui concerne la parole, au niveau du débit d'élocution, de l'intensité vocale, et de la courbe mélodique pour ne mentionner que quelques aspects.
    La plupart des travaux menés sur ce sujet considèrent que ce phénomène de convergence a pour but inconscient de rendre l'échange conversationnel plus facile en établissant une sorte de socle commun (common ground) entre les interlocuteurs. Personnellement, nous considérons que cette imitation involontaire pourrait ne pas être uniquement motivée par l’interaction sociale, mais pourrait être aussi, voire plutôt, la conséquence d’une perpétuelle recalibration sensori-motrice de nos représentations phonologiques dès que nous entendons la parole d’autrui.


    Objectifs :

    Cette étude a été menée dans le but de déterminer les corrélats neuro-cognitifs de la convergence phonétique. Nous avons cherché à déterminer l’implication de différentes zones cérébrales liées aux représentations acoustiques et articulatoires de la parole, à la perception auditive de la parole, à la préparation motrice et à l’exécution des gestes de parole, et à l’intégration sensori-motrice.

    La convergence phonétique se traduisant par une imitation partielle et inconsciente de la parole d’autrui, nous avons cherché à comparer les réseaux cérébraux de la convergence phonétique à ceux impliqués dans une tâche d’imitation volontaire et dans une tâche où le locuteur est informé du phénomène de convergence et doit essayer de ne pas céder à cette imitation inconsciente.


    Résultats :

    Au niveau comportemental, nous avons retrouvé que tous les sujets modifient la f0 de leur production en suivant celle des voyelles qu’ils viennent d’entendre, et que cet effet de convergence est plus faible que lorsque les locuteurs imitent volontairement ces voyelles. Après être informés et conscients de ce phénomène de convergence phonétique, tous les locuteurs se sont montrés capables de l’inhiber, au moins partiellement.

    Au niveau cérébral, des activations spécifiques ont été observées dans le gyrus de Heschl, le cortex orofacial prémoteur et dans la zone motrice supplémentaire pendant les tâches d’imitation volontaire et involontaire (cf. Fig. 6), ce qui suggère l’implication de ces zones dans la perception de la hauteur de la voix, et dans le contrôle moteur orofacial. Des différences  d’activation ont été observées entre les tâches d’imitation volontaire, involontaire et inhibée, dans le gyrux cingulaire (précédemment relié à des mécanismes de compétition entre les représentations de la parole), et dans la part antérieure du gyrus temporal gauche. Ce dernier résultat soutient l’idée que la convergence phonétique et l’imitation reposent sur la voie ventrale ("what"), reliée au décodage acoustique-phonétique et à l’intelligibilité. Au contraire, les trois tâches d’imitation ne diffèrent pas en activation des régions sensorimotrices de la voie dorsale ("where/how"), ce qui suggère que l’imitation volontaire et involontaire partagent le même réseau sensorimoteur.


    Publications :

    • Garnier, M., Lamalle, L. et Sato, M. (2013) « Neural correlates of phonetic convergence and speech imitation », Frontiers in Psychology, Article 600.
    • Sato, M., Grabski, K., Garnier, M., Granjon, L., Schwartz, JL. et Nguyen, N. (2013) « Converging toward a common speech code: imitative and perceptuo-motor recalibration processes in speech production », Frontiers in Psychology, Article 422.

     

     



      Adaptation de la parole en environnement bruyant (Effet Lombard)

    Travaux de thèse :

    Mon travail de thèse a eu pour but de caractériser et de comparer les stratégies individuelles d’adaptation de la parole en environnement bruyant, c'est-à-dire les modifications de la production entre une situation calme et une situation bruyante.

    Lors de ces travaux, nous avons montré que le port d’un casque affecte la perception que le locuteur a de sa propre voix. En comparaison à une situation où le bruit est joué par haut-parleurs, l’adaptation est alors amplifiée. L’ajout d’un retour additionnel de la voix du locuteur dans le casque ne suffit pas à compenser cette amplification. Nous avons également montré que le phénomène d’adaptation (et pas seulement la production de la parole) est affecté par l’interaction avec un interlocuteur. L’adaptation n’est pas seulement plus importante en situation interactive, mais différente : si un locuteur tend systématiquement à parler plus fort dans le bruit, il renforce en plus des indices segmentaux et prosodiques (insertion de pauses, articulation plus claire, patrons intonatifs renforcés) lorsqu’il interagit avec un interlocuteur.

    Nous avons également montré que nombre des modifications de la parole dans le bruit contribuent à renforcer des contrastes acoustiques (rapport signal sur bruit, contrastes spectraux entre la parole produite et le bruit ambiant, modulation de la voix en fréquence et amplitude) dont on connaît l’influence sur la détection et la ségrégation de la parole dans le bruit. Il est de plus apparu que les modifications formantiques et articulatoires des voyelles contribuent à renforcer des contrastes audibles et visibles entre les différentes catégories vocaliques (cf. Fig. 10a). J’ai également étudié comment les modifications de la parole dans le bruit contribuent à renforcer des indices prosodiques spécifiques du français, connus pour leur rôle dans la segmentation du discours (i.e. le "découpage" du flux de parole en unités de sens, cf. Fig. 10b) (Christophe, 1993) et dans la différentiation sémantique des différents mots de l’énoncé (mots "outils" vs. mots "de contenu") (Delais-Roussarie, 1995).



    Poursuite des travaux  :
    En collaboration avec Lucie Ménard (UQAM, Montréal), nous avons enregistré une base de données articulatoires (articulographie électromagnétique) visant à explorer dans quelle mesure le renforcement de contrastes audibles et visibles en environnement bruyant dépend des modalités (audio, visuelle, audiovisuelle) dont les interlocuteurs disposent pour communiquer. Autrement dit, les contrastes articulatoires visibles (lèvres) sont-ils particulièrement renforcés lorsque les interlocuteurs peuvent se voir, par rapport à des situations où ils ne peuvent que s’entendre, et par rapport à d’autres contrastes articulatoires peu visibles (langue)?


    Publications :

    • Garnier, M. et Henrich, N. (2014) « Speaking in noise: How does the Lombard effect improve acoustic contrasts between speech and ambient noise? », Computer Speech and Language 28 (2014), 580-597.
    • Cooke, M., King, S., Garnier, M. et Aubanel, V. (2014) « The listening talker: A review of human and algorithmic context-induced modifications of speech », Computer Speech and Language 28 (2014), 543-571.
    • Garnier, M., Henrich, N. et Dubois, D. (2010) "Influence of sound immersion and communicative interaction on the Lombard effect". Journal of Speech, Language and Hearing Research 53, 588-608.

    • Garnier, M., Ménard, L. et Richard, G. (2012). « Effect of being seen on the production of visible speech cues. A study on Lombard speech ». Actes d’Interspeech, Pittsburgh, USA.
    • Garnier, M. (2008). "May speech modifications in noise contribute to enhance audio-visible cues to segment perception?". Actes de Audiovisual Speech Processing, Moreton Island, Australie.
    • Garnier, M., Bailly, L., Dohen, M., Welby, P. et Loevenbruck, H. (2006)."An acoustic and articulatory study of Lombard speech. Global effects at utterance level". Actes de Interspeech, Pittsburgh, USA
    • Garnier, M., Bailly, L., Dohen, M., Welby, P. et Loevenbruck, H. (2006). "The Lombard effect: a physiological reflex or a controlled intelligibility enhancement". Actes de International Seminar on Speech Production, Ubatuba, Brésil.


     

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    UMR 5216 CNRS - Grenoble INP - Université Joseph Fourier - Université Stendhal