GARNIER
Maëva
Chargée de recherche CNRS
Recherche

Optimisation des efforts: efficacité des coordinations gestuelles, efficacité des stratégies de communication



    Ajustements articulatoires et résonantiels dans la phonation à forte intensité


    Problématique :

    Dans la théorie source-filtre usuellement considérée en parole, le conduit vocal est principalement envisage comme un “filtre”, modelant le spectre acoustique du son généré au niveau de la source glottique. Pourtant d’un point de vue acoustique, le conduit vocal est avant tout un résonateur, couplé à un excitateur (la source glottique). Aussi, l’onde acoustique générée par la vibration des cordes vocales n’est pas seulement filtrée puis rayonnée à l’extérieur mais une partie de cette onde est réfléchie à l’intérieur du conduit vocal et échange de l’énergie avec la source glottique . Concrètement, cela signifie que les variations de configuration du conduit vocal peuvent influencer la vibration laryngée. Des travaux récents ont montré comment les chanteurs d’opéra ajustent instinctivement leur articulation (ouverture de la mâchoire, abaissement du voile du palais, recul de la langue…) pour coupler le résonateur avec la source glottique en ajustant la fréquence d’une ou plusieurs résonances de leur conduit vocal sur des harmoniques de la voix, i.e. une fréquence multiple de celle de vibration des cordes vocales. Des modèles théoriques interprètent ces ajustements résonantiels (ou « formant tuning ») comme une optimisation des échanges énergétiques entre la source et le filtre, permettant d’améliorer l’efficacité de phonation.


    Objectif :

    Le but de ces travaux est de déterminer si de tels ajustements résonantiels sont spécifiques de la technique vocale lyrique, ou s’ils sont également observés dans d’autres types de chant à forte intensité, mais plus « populaires », ou encore dans la voix criée, produite par des locuteurs sans expertise vocale particulière. L’autre question, en miroir, est de comprendre à quoi "sert" l’augmentation de l’ouverture de la bouche que l’on constate chez les sopranes dans l’extrême aigu de leur tessiture (voix dite « de sifflet », où 500Hz<f0<2000Hz), chez chanteurs de comédie musicale, ou dans la parole criée et si la fonction de ces modifications articulatoires est précisément de réaliser des ajustements résonantiels.


    Méthode :

    Pour pouvoir explorer ces questions, il est nécessaire de pouvoir mesurer les résonances du conduit vocal de façon indépendante de la source glottique, ce qui n’est pas le cas des techniques usuelles de mesures de formants basées sur l’analyse du signal de parole rayonné (comme on peut le faire traditionnellement avec des logiciels comme Praat). L’équipe de l’UNSW de Sydney a développé une méthode d’impédancemétrie du conduit vocal (Epps et al., 1997), jusqu’à maintenant uniquement accessible dans ce laboratoire, qui permet une mesure physique directe des résonances du conduit vocal. En rejoignant cette équipe pour mon premier post-doctorat, et en poursuivant la collaboration avec eux depuis mon recrutement CNRS, j’ai pu acquérir plusieurs bases de données permettant d’explorer différents types de productions avec effort, avec acquisition simultanée des signaux audio, électroglottographiques et de l’impédance du conduit vocal. La fréquence de vibration des cordes vocale (f0) est mesurée à partir du signal électroglottographique, indépendamment des résonances du conduit vocal (R1, R2), mesurées à partir de l’impédance acoustique.



    Résultats:

    Mes travaux de post-doctorat sur la voix de sifflet ont montré que les sopranes lyriques, peu importe leur degré d’expertise, montraient toutes un ajustement résonantiel de de R1 sur f0 dans le haut de leur tessiture (jusqu’à C6 environ, mais même jusqu’à F6 pour certaines). Contrairement à ce qui est souvent soutenu en pédagogie vocale, la transition de registre (et donc de qualité vocale) entre la voix « de tête » et la voix « de sifflet » ne correspond pas à un changement de stratégie résonantielle mais à un changement de comportement laryngé. Enfin, toutes les chanteuses capables de produire des notes extrêmement aigues (au dessus de E6) ont toutes montré un ajustement résonantiel de R2 sur  f0, suggérant que celui-ci conditionne certainement la production du registre suraigu.
    La thèse de T. Bourne a montré que les 3 principales qualités vocales utilisées en comédie musicale (Legit, Chesty Belt, Twangy Belt) sont produites avec des ajustements laryngés et articulatoires significativement différents, et que la définition de ces qualités et des gestes phonatoires associés ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes. Pour les femmes, Belt et Legit sont produits avec deux mécanismes laryngés fondamentalement distincts (M1 et M2) et un ajustement résonantiel (de la 1ère résonance R1 sur le 2ème harmonique 2f0)  uniquement en qualité Belt. Pour les hommes, les trois qualités sont produites dans le même mécanisme laryngé (M1) et avec le même ajustement résonantiel (R1:2f0), mais diffèrent par des ajustements laryngés plus subtils. 
    Le mémoire d’orthophonie de Marine Barbé a montré que la majorité des locuteurs (10 sur 12), même naïfs, présentent instinctivement des ajustements résonantiels en voix criée (de R1 sur f0 pour les voyelles fermées et de R1 sur 2 f0 pour les voyelles ouvertes). Lorsqu’ils doivent augmenter leur effort vocal tout en maintenant la hauteur de leur voix constante, les locuteurs continuent d’hyperarticuler, mais seulement la moitié d’entre eux continuent alors de présenter des ajustements résonantiels. Enfin, lorsqu’ils doivent augmenter leur effort vocal tout en maintenant leur hauteur de voix et leur articulation constante, aucun locuteur ne parvient plus à réaliser d’ajustement résonantiel. Ces résultats soutiennent donc l’idée que l’hyperarticulation observée en parole criée contribue à optimiser l’efficacité de production en permettant que locuteur de réaliser des ajustements résonantiels.


    Publications : 

    • Bourne, T., Garnier, M. et Samson, A. (soumis) « Physiological and Acoustic Characteristics of the Male Music Theatre Voice », Journal of the Acoustical Society of America.
    • Garnier, M., Henrich, N., Crevier Buchman, L., Vincent, C., Smith, J. et Wolfe, J. (2012) "Glottal behavior in the high soprano range and the transition to the whistle register" Journal of the Acoustical Society of America 131(1), 951-962.
    • Bourne, T. et Garnier, M. (2012) « Physiological and acoustic characteristics of four qualities in the female music theatre voice  », Journal of the Acoustical Society of America 131 2, 1586-1594.
    • Garnier, M., Henrich, N., Wolfe, J., et Smith, J. (2010) "Vocal tract adjustments in the high soprano range". Journal of the Acoustical Society of America 127(6), 3771-3780.
    • Wolfe, J., Garnier, M., et Smith, J. (2009) "Vocal tract resonances in speech, singing and playing musical instruments". HFSP Journal 3 (1): 6-23.
    • Bourne, T. Garnier, M. and Kenny, D. (2011) "Music theatre voice: Production, physiology and pedagogy". Journal of Singing.
    • Bourne, T., Garnier, M., Kenny, D. (2010). "Music theatre voice: Production, physiology and pedagogy". Singing in Australia in the 21st Century. Ed. S. Harrisson. Australian Academic Press, chapitre 11.
    • Garnier, M. (2009). "Chapitre 6 : Forçage vocal et efficacité de communication". La voix dans tous ses maux. Ed. A. Brysbaert: 83-107.
    • Garnier, M., Dubois, D. et Henrich, N. (2007) "Bruit et voix: de l'adaptation au forçage vocal". Perturbations et Réajustements. Langue et langage. Ed. B. Vaxelaire, R. Sock, G. Kleiber et F. Marsac: 63-71.



Coordination des gestes de parole dans la production de consonnes occlusives


Problématique :

Dans différents types de parole avec effort ou hyper-articulée (parole dans le bruit, parole claire, …), on observe différentes modifications acoustiques et articulatoires des consonnes occlusives : timing des différentes phases, intensité et spectre des bruits de plosion, compression accrue des lèvres pour des bilabiales. Il manque des informations pour pouvoir interpréter dans quelle mesure ces modifications sont directement reliées à l’augmentation de l’intensité vocale, ou dans quelle mesure elles peuvent être contrôlées par l’individu, dans  le but d’améliorer l’intelligibilité audio et/ou visuelle.


Objectif :

Examiner le degré de couplage et d’indépendance entre paramètres acoustiques et physiologiques (laryngés, aérodynamiques, articulatoires) dans la production de consonnes occlusives, afin de mieux comprendre
-ce qui est de l’ordre de la contrainte physique (universelle et partagée par tous les individus)
-comment ce couplage varie en fonction de l’intensité, du débit de parole, de la précision de l’articulation
-comment cette coordination varie en fonction du contrôle de l’individu, et peut éventuellement dysfonctionner chez les personnes présentant des troubles de la voix ou de la parole.


Résultats

Nous avons enregistré plusieurs bases de données de signaux physiologiques synchrones, sur plusieurs locuteurs sains, différents niveaux d’intensité de production (murmuré, normal, crié, chuchoté faible, chuchoté fort) et 3 débits de parole (60bpm, 120bpm, 180bpm).

Contrairement à nos attentes, nous avons observé une faible corrélation entre l’augmentation de la pression intra-orale et l’augmentation de la force de compression interlabiale, suggérant que la compression des lèvres ne serve pas simplement à retenir la pression accumulée dans la cavité orale, mais puisse servir en soi comme paramètre de contrôle de la production. En effet, les variations d’intensité du bruit de plosion sont très significativement expliquées par la variation conjointe de la pression intra-orale et de la force de compression interlabiale. En revanche, les variations spectrales du bruit de plosion, en particulier de son centre de gravité, ne sont pas bien expliquées par ces 2 paramètres

Ces premiers travaux se poursuivent désormais au travers du projet ANR StopNCo (« efforts et coordination dans la production de consonnes occlusives », 2015-2019). Le financement permettra en particulier d’encadrer la thèse de doctorat de Thibault Cattelain sur ce sujet à partir d’octobre 2015. Les objectifs de ce projet seront d’étendre l’exploration de ces couplages et coordinations dans la production de consonnes occlusives :

  • aux différents stades de développement chez l’enfant
  • avec la recherche d’intelligibilité (parole claire ou dans le bruit)
  • en fonction du contrôle individuel (expert vs. dysfonctionnel), en particulier chez les personnes qui bégaient (mémoire d’orthophonie d’Anaïs da Fonseca)

Publications :

  • Garnier M., Bouhake S. et Jeannin C. (2014). "Efforts and coordination in the production of bilabial consonants." In Proceedings of the 10th International Seminar on Speech Production (ISSP).


 

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